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Colloque - Discours de réaction : répertoires nationaux et transnationaux

Catégorie
Date
lun, 09/08/2025 - mar, 09/09/2025
Appel à communication se terminant le

Université Libre de Bruxelles (ULB)
1050 Brussels
Belgique

Colloque : Discours de réaction : répertoires nationaux et transnationaux

La progression de discours conservateurs, radicaux et d’extrême droite dans le monde occidental attire de plus en plus l’attention des chercheurs en sciences humaines et sociales, qui voient la nécessité de renouveler la recherche sur le discours réactionnaire. Si, selon le travail pionnier d’Albert Hirschman (1991), la « rhétorique réactionnaire » s’est déployée en trois grandes vagues (la réaction contre les droits humains, la réaction contre le suffrage universel et enfin la réaction contre l’état providence), actuellement la réaction parait viser les mouvements de défense des droits sociaux (mouvements féministes, écologistes, antiracistes ou plus largement ceux qui sont perçus, à tort ou à raison, comme progressistes). La plupart des études contemporaines sur les mouvements réactionnaires se concentrent sur des formations idéologiques de droite ou identitaires: « droite populiste » (Traverso 2019), « droite réactionnaire », « mouvements populistes nationaux » (Camus & Lebourg 2017), « extrême droite 2.0 » (Forti 2021), « partis populistes de droite radicale » ou « d’extrême droite » (Mudde 2019; Mudde & Kaltwasser 2013), « populismes de droite » (Mouffe 2018) ou « reactionary populism » (Fraser 2017), notamment en Europe et aux États Unis, mais aussi plus récemment en Amérique latine (Goldstein 2022, Stefanoni 2022, Bolcatto & Soroujon 2020, Zanotti & Roberts 2021, Morresi, Saferstein & Vicente 2022, Cassimiro & Lynch 2022, Semán 2023, Sanahuja & Stefanoni 2023, Demuru 2024). 

Cependant, nous observons que la formation discursive réactionnaire a depuis longtemps débordé ces discours d’extrême droite ou identitaires et s’est répandu sous forme de « lieux discursifs » (Krieg-Planque 2010), c’est-à-dire des motifs disponibles dans le discours social et auxquels les énonciateurs « s’arriment » éventuellement, contribuant à construire des discours hybrides qui n’adhèrent pas à tout le répertoire réactionnaire mais « piochent » des éléments isolés. Qui plus est, la disponibilité de ces motifs et leur circulation détachée d’un discours organique sont des symptômes de leur acceptabilité. 

Le deuxième constat est la circulation de cette formation discursive entre plusieurs aires linguistiques, notamment Europe/Amérique du Nord/Amérique latine, des régions avec à la fois des traditions politiques communes, des cultures démocratiques différentes et des marqueurs de développement divers. Cette circulation multilingue ne se fait pas sous forme d’un répertoire discursif stable mais plutôt d’idéologèmes, c’est-à-dire des unités de signification sous-jacentes aux énoncés et appartenant au même champ thématique (Angenot 1977). Par exemple, les lexèmes wokisme/woke en français et progresismo/zurdo en espagnol ne sont pas équivalents en langue mais partageant les mêmes sèmes en discours, renvoyant au même imaginaire politique et remplissant la même fonction sociale, à savoir l’appropriation de concepts issus d’autres secteurs idéologiques, la délégitimation de l’adversaire politique ou encore la construction de la polarisation dans le débat social. En voyageant d’une aire culturelle à une autre, ces concepts témoignent d’un imaginaire antiprogressiste banalisé, qui s’inscrit dans des formes à la fois classiques et novatrices du discours réactionnaire. Si les travaux sur la circulation transnationale des concepts politiques sont nombreux, cette journée d’étude cherche plus particulièrement à documenter ce moment du discours social (Angenot 1995) où la formation discursive réactionnaire se répand voire devient hégémonique dans plusieurs aires culturelles à la fois, témoignant de l’existence d’imaginaires politiques extrêmement plastiques qui s’adaptent à des contextes divers.    

L’appel s’inscrit ainsi dans une double littérature : celle sur la rhétorique réactionnaire initiée par Albert Hirschman (1991; Sternhell 2006; Durand & Syndaco 2015; Shorten 2022; Traverso 2017; Forti 2021; Stefanoni 2022) et celle sur la circulation des idées (Passard 2024, Skinner 1969) et des concepts (Koselleck 1982).   

L’objectif de la journée est ainsi d’étudier la circulation contemporaine de la formation discursive (Foucault 1969 : 141) réactionnaire entre l’Europe et les Amériques. Les objectifs ponctuels sont les suivants :  

  • Établir le répertoire argumentatif, lexical et phraséologique de cette formation discursive, que ce soit dans des contextes nationaux ou transnationaux, avec une focalisation sur la circulation de lexèmes spécifiques (wokisme, cancel culture, batalla cultural, casta); 
  • Identifier des paradigmes, tels que le champ lexical du totalitarisme (feminazi, ayatollahs de l’écologie, dictature nazitaire, dictadura de la corrección política, terrorismo feminista, ecoterrorismo, feminismo totalitario), celui de l’hypocrisie et la duplicité (gauche caviar, gauchiste, progres), ou encore l'imaginaire conspirationniste qui transparait dans l’attaque au cosmopolitisme, au multiculturalisme et à la mondialisation (grand remplacement, agenda 2030) ; 
  • Explorer les relations interdiscursives avec d’autres discours sociaux : les discours de la gauche, ceux de la droite traditionnelle, ceux des droits de l’homme, les discours scientifiques ou antiscientifiques ; 
  • Étudier les espaces sociaux dans lesquels se produisent le transfert et la circulation entre les différentes zones géographiques (congrès de partis, médias, réseaux sociaux, maisons d’édition) et la trajectoire des acteurs ; 
  • Comprendre ce qui rend possible la circulation de ces discours et ces imaginaires réactionnaires (configuration du champ médiatique, crise de la démocratie représentative, rôle des influenceurs, de la radio ou des médias sociaux numériques) ; 
  • Cartographier les énonciateurs qui portent cette formation discursive dans leur diversité et leurs hybridités idéologiques (extrême droite, droite conservatrice ou libérale, libertariens, universalisme républicain). 

La journée d’étude cherche à étudier la formation discursive réactionnaire dans le discours politique comme dans le discours ordinaire, que ce soit au niveau national ou transnational, et ce depuis plusieurs disciplines : analyse de discours, sciences de l’information et de la communication, science politique, sociologie, histoire des idées. Seront acceptés des travaux qui étudient la circulation des concepts et des discours dans une perspective nationale comme dans une perspective comparatiste, qu’il s’agisse de corpus monolingues ou multilingues. Les contributions peuvent être rédigées en français, en anglais ou en espagnol.

Les propositions de communication (500 mots maximum, avec des références bibliographiques à la fin) sont à envoyer à discoursreac@gmail.com. La date limite de réception des résumés est le 28 avril 2025.

Organizer
Laura Calabrese (ULB
Frédéric Louault (ULB)
Sol Montero (UNSAM, Argentine)
Laurye Joncret (ULB)
Micaela Baldoni (Connect)
Institution
Université Libre de Bruxelles (ULB
Personne à contacter
Laura Calabrese
Courriel de la personne à contacter
discoursreac@gmail.com